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TEXTES ET LOIS

¤ PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE / Prescription des actions / Loi réformatrice n° 2008-561 du 17.06.2008 / Commentaire partiel / Assurances et construction / Incidence

Avertissement.

La réforme opérée par la loi du 17 juin 2008 a manqué son objectif principal et affiché qui était d’apporter une solution à la longueur des expertises judiciaires dans le domaine de la construction immobilière en faisant de la mesure d’instruction une cause de suspension ou d’interruption du délai pour agir à l’égard des constructeurs.

De fait, l’une des principales innovations créées par la loi et ayant consisté à suspendre le délai d’action « lorsque le juge fait droit à demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès » – nouvel article 2239 Code civilne s’applique pas aux délais de forclusion selon le nouvel article 2220 du même Code placé en tête du nouveau titre 20ème du livre 3ème dudit Code :

« Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre. ».

Et, même si les meilleurs juristes seraient bien en peine d’expliquer nettement ce qui distingue le délai de forclusion du délai de prescription, il y a belle heurette que la Cour de cassation a affirmé et réaffirmé avec constance que tous les délais d’action ou d’épreuve se rapportant aux constructions immobilières neuves correspondent à des forclusions : garantie annale des vices et défauts de conformité apparents due par le vendeur d’immeubles à construire, garantie annale de parfait achèvement due par les entrepreneurs, garantie biennale de bon fonctionnement et garantie décennale de l’article 1792 du Code civil à la charge des constructeurs en général.

C’est pourquoi la Cour de Cassation vient de souligner très récemment et par arrêt à publier au Bulletin que la réforme de 2008 n’a pas changé la donne en matière d’expertise – construction : Cass. civ. 3ème, 03. 06. 2015 : pourvoi n° 14 – 15796 :

« Mais attendu que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion ; qu'ayant relevé que l'assignation en référé du 6 décembre 2008 avait interrompu le délai de forclusion et qu'un expert avait été désigné par une ordonnance du 7 avril 2009 et exactement retenu que l'acquéreur ne pouvait pas invoquer la responsabilité contractuelle de droit commun du vendeur d'immeuble à construire qui ne peut être tenu à garantie des vices apparents au-delà des limites résultant des dispositions d'ordre public des articles 1642-1 et 1648 du code civil, la cour d'appel en a déduit à bon droit que Mme X... était forclose quand elle a assigné au fond la SCI le 10 décembre 2010 ; ».

En pratique et comme avant la promulgation de la loi du 17 juin 2008 et étant rappelé que l’assignation en référé à fin d’expertise suivie d’une décision favorable et que ladite ordonnance consécutive favorable interrompent les délais de forclusion pour une durée égale, il faut dans l’année suivante, notamment pour interrompre le cours des garanties annales et biennales, assigner au fond les constructeurs.

Reste à savoir si les nouveaux délais d’action biennale et décennale, à compter de la réception des travaux et institués par les réformes successives de 2005 et 2008 à l’encontre notamment des sous-traitants, correspondent à des temps de forclusion ou de prescription : voir infra, B, 2 !

 

A/ L'INCIDENCE DE LA NOUVELLE LOI S'AGISSANT DU DÉLAI BIENNAL DE L'ACTION DÉRIVANT DES CONTRATS D'ASSURANCE.

Liminairement, il faut préciser que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 sont susceptibles de s’appliquer :

  •  très généralement, à tous les sinistres survenus et connus à compter du jeudi 19 juin 2008, soit le lendemain de leur publication au Journal officiel, en vertu du principe posé par l’article 1er du Code civil ;

 

  • plus particulièrement et s’agissant de la triple innovation visant à suspendre la prescription ou à en décaler le point de départ, aux sinistres antérieurs pour lesquels une procédure amiable de médiation ou conciliation aura été entamée ou bien une mesure d’instruction juridictionnelle avant tout procès ordonnée à compter du jeudi 19 juin 2008, en vertu du principe de l’application immédiate des nouvelles dispositions de procédure.

A titre d’exemple, les expertises judiciaires décidées par les juges des référés depuis le 19 juin 2008, même si elles concernent des sinistres survenus et connus antérieurement, ont suspendu, dans les rapports entre assurés et assureurs, la prescription biennale édictée par l’article L.114-1 du Code des assurances et, en pratique, le nouveau délai de deux ans engendré par le prononcé des ordonnances avant dire droit ne démarrera qu’à compter du dépôt du rapport définitif du technicien commis.

Le droit transitoire sera approfondi dans la seconde sous-partie consacrée à l’incidence de la nouvelle loi en matière de construction immobilière, la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance n’ayant pas, elle, été abrégée et aucune faculté d’aménagement conventionnel du délai pour agir n’ayant été autorisée entre assurés et assureurs.

 

  • Prenant le contrepied de la position de la Cour de cassation, le législateur crée une triple cause de suspension du délai biennal

Le Vocabulaire juridique Henri CAPITANT, 1ère édition PUF 1987, définit la prescription comme un « Mode d’acquisition ou d’extinction d’un droit, par l’écoulement d’un certain laps de temps (d’un délai) et sous des conditions déterminées par la loi ».

Par opposition à l’interruption qui efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien –nouvel article 2231 du Code civil-, en principe, « La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. » -nouvel article 2230 du même Code.

 

  • La double cause de suspension en cas de litige entre l’Assureur et l’Assuré : la médiation ou la conciliation convenue ou bien effective

L’alinéa 1er du nouvel article 2238 du Code civil dispose :

« La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’un écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. ».

La médiation suppose l’intervention d’un tiers au contrat, ce qui n’est pas forcément le cas de la conciliation qui peut être entendue comme un mode de règlement du litige entre les parties sans recours à un médiateur, un arbitre ou un juge.

Enfin, le litige doit se comprendre comme un désaccord, un différend né entre les parties mais non porté à la connaissance d’une juridiction, par opposition à la contestation visée par l’article 2044 du Code civil.

L’assimilation du litige à la contestation n’aurait aucun sens et priverait de tout intérêt ces deux nouvelles causes de suspension du délai pour agir puisque l’action portée devant une juridiction, même incompétente, interrompt la prescription –ancien article 2248 devenu alinéa second in limine du nouvel article 2241 du Code civil.

Hors les difficultés d’application ci-après évoquées, ces nouvelles dispositions ont le mérite de permettre désormais à l’Assuré de pouvoir échapper aux rigueurs du délai biennal dans le cas fréquent où les discussions avec l’Assureur sur la prise en charge du sinistre tirent en longueur.
   
Dans cette hypothèse de pourparlers s’éternisant, la Cour de cassation considérait qu’il n’y avait pas eu suspension de la prescription biennale, l’Assuré ayant la possibilité d’user du moyen fort commode d’interruption constitué par la lettre recommandé avec demande d’accusé de réception et toujours prévu par l’article L.114-2 du Code des assurances.

Très exceptionnellement, elle approuvait les juges du fond d’avoir condamné l’Assureur à verser des dommages et intérêts compensant l’indemnité d’assurance non payable pour cause de prescription, à titre de sanction de son comportement dilatoire.

 

  • La troisième et dernière cause de suspension, en cas de mesure d’instruction ordonnée avant tout procès
  • La réforme

 

Le nouvel article 2239 du Code civil prévoit par son alinéa 1er  que « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. ».

Le Législateur, par mesures d’instruction « avant tout procès », vise notamment celles exécutées par un technicien, au sens des articles 232 et suivants du Code de procédure civile et selon la gradation suivante:

  • le constat,
  • la consultation
  • et l’expertise, surtout.

 

  • L’intérêt de cette réforme

 

Cette innovation revêt une grande importance pratique car l’expertise judiciaire, particulièrement en matière de sinistres construction, dure souvent plus de deux ans.

Jusqu’alors et après de longues opérations expertales, nombre d’Assurés peu avertis ou mal conseillés étaient déclarés irrecevables en leur action en indemnisation exercée après le dépôt du rapport du technicien commis, pour ne pas avoir pris la précaution d’envoyer à intervalle  régulier à l’Assureur des lettres recommandées avec accusé de réception ayant pour objet le règlement de l’indemnité.

Cette question a suscité et suscitera encore pour le passé un énorme contentieux, les juges du fond ayant tendance à éluder la prescription au bénéfice des Assurés mais la Haute juridiction cassant finalement les décisions rendues en équité qui lui étaient/son soumises par les Assureurs.

 

  • La limite de cette réforme

La double restriction apportée à la mise en œuvre de ce nouveau cas de suspension pour cause de mesure d’instruction n’est pas gênante.

La condition que le juge fasse droit à la mesure sollicitée n’est que l’application du principe selon lequel l’interruption de la prescription ou, a fortiori, la suspension est regardée comme non avenue en cas de rejet judiciaire de la demande –ancien article 2247 devenu nouvel article 2243 du Code civil avec deux nuances liées à la suppression de l’expression « regardée comme » et surtout à l’adjonction d’un adverbe : « L’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée. ».

La seconde condition relative à l’absence de procès est logique, évitant un effet suspensif inutile voire perturbateur.

Sauf disposition spéciale, le juge du fond qui se borne à ordonner une mesure d’instruction, contrairement au juge des référés, reste saisi du dossier : articles 482 et 483 ainsi que 481, alinéa 1er  a contrario du Code de procédure civile.

En conséquence et selon l’analyse de la Première chambre de la Cour de cassation spécialisée en matière d’assurances, l’effet interruptif de prescription lié à la saisine de la juridiction se prolonge jusqu’à ce que le juge du fond se prononce sur le principal. Et dès le prononcé de la décision ayant tranché la contestation court un nouveau délai d’une durée égale à celui interrompu durant l’instance : deux ans en matière d’action dérivant d’un contrat d’assurance.

 

En revanche, cette innovation crée un hiatus avec le régime de l’expertise amiable.

Il est courant que l’assureur désigne son propre expert en cas de sinistre et cette désignation amiable est même obligatoire en cas de déclaration circonstanciée d’un sinistre « dommages ouvrage » évaluable à au moins 1 800 €, sauf mise en jeu de la garantie manifestement injustifiée.

Or la désignation d’un expert par l’Assureur ou un Intermédiaire d’assurances voire par l’Assuré lui-même, dès lors que le cocontractant est convié à cette mesure d’instruction amiable,  constitue une cause spéciale d’interruption de la prescription biennale des actions d’assurance, en vertu de l’article L.114-2 in limine du Code des assurances :

« La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. ».

Mais ce cas de figure pourtant habituel n’est manifestement pas visé par le législateur dans sa nouvelle cause de suspension du délai pour agir et consistant notamment en la désignation d’un expert par voie judiciaire bien qu’avant tout procès.

Il conviendra donc que les Intéressés fassent bien la distinction entre expertise judiciaire et expertise amiable.

Il est vrai qu’il est extrêmement rare que les opérations d’expertise amiable durent, contrairement à celles de l’expertise judiciaire, plusieurs années.

 

  • La faculté d’aménagement contractuel du délai pour agir, imaginée par le législateur, est interdite aux parties au contrat d’assurance
  • Le nouvel article 2254 du Code civil

 

Il pose, sauf exceptions, le principe de la liberté d’aménagement conventionnel par les parties du délai pour agir, à l’intérieur d’une certaine fourchette :

« La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans.

Les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi.

Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou termes périodiques plus courts. ».

 

  • L’interdiction de libre d’aménagement conventionnel faite aux parties au contrat d’assurance par le nouvel article L.114-3 du Code des assurances

Ce nouveau texte précise que « Par dérogation à l’article 2254 du code civil, les parties au contrat d’assurance ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci. ».

Il s’agit à l’évidence d’une disposition d’ordre public de protection prise dans les intérêts des Assurés le plus souvent signataires de contrats d’adhésion, une interdiction identique visant et les parties à une opération individuelle ou collective – nouvel article L.221-12-1 du Code de la mutualité- et celles à un contrat entre un professionnel et un consommateur –nouvel article L.137-1 du Code de la consommation.

 

  • Des difficultés d’application de la triple nouvelle cause de suspension du délai biennal pour agir sont prévisibles
  • La question de la définition et de la preuve de la conciliation cause de suspension de la prescription

 

A propos des médiation et conciliation, le second alinéa du nouvel article 2238 du Code civil dispose que « Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. ».

La présence, par définition, d’un tiers en matière de médiation devrait permettre de prévenir des difficultés d’application de ce texte.

Tel n’est pas le cas s’agissant de la conciliation.

Certes, il ne faut pas s’en tenir à la définition stricto sensu de la conciliation et telle que proposée par le Vocabulaire juridique Henri CAPITANT –« Accord par lequel deux parties en litige mettent fin à celui-ci… »- et il convient de considérer que la conciliation évoquée par le législateur vise aussi bien la tentative de conciliation avortée.

Même si l’expression « conciliation…terminée » paraît être synonyme de conciliation ayant abouti, il n’en est rien.

Si le législateur a revu le mécanisme de la prescription en  matière civile en général, c’est précisément pour permettre aux parties d’être encore recevables à saisir le juge dans l’hypothèse où de longs pourparlers s’avèreraient infructueux.

Subsiste, en réalité, la question de la preuve de l’existence et de l’entame et de la fin de la procédure de tentative de conciliation, à défaut d’écrit et en cas de négation par le cocontractant et, en pratique, le plus souvent par l’Assureur :

  • comment prouver la réalité de « la première réunion de conciliation » ayant un effet suspensif, en l’absence d’une lettre de convocation préalable à l’objet bien défini ou bien d’un procès-verbal de réunion ultérieur bien circonstancié ?

 

  • Quelle foi accorder à la déclaration unilatérale par l’une des parties de la terminaison de la conciliation et valant reprise immédiate du cours de la prescription ?

Incidemment, il n’est pas imaginable que ladite déclaration unilatérale soit orale : un écrit revêtant au moins la forme d’une lettre recommandée et adressée au cocontractant s’impose.

 

  • Le problème de la mesure d’instruction, dont spécialement l’expertise, ordonnée par le président du tribunal administratif

 

En cas de sinistre affectant un ouvrage public il n’est pas rare, par le jeu des appels en cascade en déclaration commune d’ordonnance et d’expertise et selon que la première ordonnance avant dire droit a été rendue par le juge judiciaire ou bien par le juge administratif, en fonction de la qualité des intéressés initiaux, que tous les intervenants concernés sur le chantier ou une partie d’entre eux, qu’ils soient liés par un marché public ou privé, ainsi que leurs assureurs respectifs, participent à la mesure d’instruction au titre exclusivement d’une kyrielle de décisions émanant soit de la juridiction judiciaire soit de la juridiction administrative.

Dans la seconde branche de l’alternative ou s’il y a panachage d’ordonnances rendues à la fois par les deux ordres de juridiction et intéressant également Assureurs et Assurés, faudra-il distinguer selon que les parties au contrat d’assurance participent à l’expertise en exécution d’une ordonnance de référé judiciaire ou non pour décider s’il y a suspension ou non du délai biennal de prescription de l’action ?

Un tel clivage, faisant  dépendre l’arrêt du cours de la prescription d’un simple concours de circonstances, serait choquant et ne paraît pas s’imposer à la lecture de la disposition très générale du premier alinéa du nouvel article 2239 du Code civil :

« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une mesure d’instruction présentée avant tout procès. » -rappel.
    
 En conséquence et en application de la maxime « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus »( Où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer), le juge judiciaire du fond, chargé de trancher les contestations entre Assuré et Assureur, après dépôt par un technicien désigné par le juge administratif du rapport d’expertise, devra tenir compte du temps de suspension du délai biennal, du prononcé de la mesure d’instruction à la date de remise du compte-rendu expertal définitif, pour apprécier la recevabilité de l’action du demandeur.

Toute décision juridictionnelle ordonnant une mesure d’instruction in futurum étant interruptive de la prescription, nous verrons que ce cas de suspension correspond, techniquement, à un report du point de départ du nouveau délai d’une durée égale à celui interrompu.

 

  • La computation du délai résiduel pour agir en cas de suspension, à la lumière de quelques cas pratiques

La  Cour de cassation s’est toujours montrée très réticente à manier la notion de suspension de prescription notamment parce que le calcul de la durée du délai restant à courir est alors difficile à effectuer, en raison surtout de l’absence de points de repère précis et indiscutables : date des début et fin du temps mis entre parenthèses.

Même en cas d’impossibilité absolue d’agir, elle préférait différer le point de départ de la prescription plutôt que de recourir à la technique de la suspension pourtant prévue par les anciens articles 2251 et suivants du Code civil.

Pour tenter de prévenir les difficultés, la loi du 17 juin 2008 a instauré un délai résiduel minimal pour agir de six mois après reprise du cours de la prescription.

  • S’agissant de la suspension pour cause de médiation ou conciliation, le second alinéa du nouvel article 2238 du Code civil précise que « Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. ».

 

  • Pour ce qui est de la suspension résultant de l’ordonnance d’une mesure d’instruction, le second alinéa du nouvel article 2239 du Code civil décide que « Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. ».

L’élément objectif clôturant les opérations du technicien commis est la date du dépôt de son rapport définitif.

 

En réalité et s’agissant du délai biennal des actions d’assurance ou de tout délai d’une durée au mois égale à six mois, ce délai-plancher de six mois est totalement inutile dans le cas des mesures d’instruction ordonnées avant dire droit par un juge.

Nous allons voir à l’aide de deux cas pratiques que la suspension dans ces hypothèses revient techniquement à différer le point de départ de la prescription au jour du dépôt du rapport de constatation ou de consultation ou d’expertise.

 

Ainsi, devient sans conséquence la circonstance qu’en matière d’expertise-construction il n’est pas rare que l’assignation au fond intervienne plus de six mois après le dépôt du rapport du technicien commis.

 

  • Cas pratiques de calculs en cas de mesures d’instruction : cumul par la décision judiciaire de l’effet interruptif déclenchant un nouveau délai de 2 ans avec l’effet suspensif arrêtant concomitamment le l’écoulement du temps

Prenons l’hypothèse d’un sinistre survenu et connu le 19 juin 2008 pour lequel une expertise est ordonnée, dans les rapports entre l’Assuré et l’Assureur, par décision avant dire droit du 15 mai 2009.

Le prononcé de l’ordonnance favorable, par application respective des articles L.114-2 du Code des assurances et 2241, 2242 et 2243 nouveaux du Code civil, a interrompu le délai biennal et fait courir un nouveau délai d’une durée identique qui expirera en en principe, sauf prorogation au premier jour ouvrable suivant si le dernier jour correspondait à un samedi, dimanche ou jour férié –application de l’article 642 du code de procédure civile-, le 15 mai 2011 ; mais ladite ordonnance favorable étant constituée ou doublée par la désignation d’un technicien, le délai biennal d’action censée s’éteindre le 15 mai 2011 est instantanément « gelé » et ne court pas pendant tout le temps des opérations de la mesure d’instruction.

 

  • Si l’expertise dure plus de deux ans, le rapport définitif étant déposé par exemple le 16 mai 2011, les parties au contrat d’assurance pourront saisir le juge du fond jusqu’au 16 mai 2013, à tout le moins.

Dans le système précédent, leur action diligentée après le 15 mai 2011 aurait été irrecevable, sauf interruption entretemps par une autre cause telle qu’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.

Incidemment, même si l’expertise durait nettement plus de deux ans, les cocontractants ne pourraient bénéficier d’un « crédit » de délai pour agir supérieur à deux années. 

  • Si l’expertise dure moins de deux ans, le rapport définitif étant déposé par exemple le 31 décembre 2009, les parties au contrat d’assurance pourront saisir le juge du fond jusqu’au 31 décembre 2011 inclus, à tout le moins : là encore, le sablier égrainant le nouveau délai biennal pour agir ne sera retourné qu’au signal transmis par le dépôt du rapport final du technicien.

 

Pour résumer, la suspension du temps dans ces cas de figure s’analyse en un report du point de départ de la prescription et il est donc inutile de se préoccuper de la durée exacte de l’expertise ou de celle de toute autre mesure d’instruction.

 

  • Cas pratiques de calculs en cas de procédures de médiation ou conciliation

 

Pour nos exemples, l’on supposera que le recours à un médiateur n’est pas interruptif de prescription ; dans le cas contraire, il suffit de reprendre le raisonnement appliqué aux mesures d’instruction effectuées par un technicien désigné judiciairement.

La question de la suspension de la prescription ne se pose pas dans le cas de la médiation créée et réglementée par les articles 131-1 à 131-15 du Code de procédure civile issus du décret n° 96-652 du 22 juillet 2006 :  le recours à un médiateur intervient à l’initiative du juge et celui-ci reste saisi de l’affaire.

Et l’on admettra également que ne se pose le problème de preuve ni de la réalité d’une procédure informelle de conciliation ni des dates de son commencement et de la déclaration de sa terminaison.

  • Hypothèse n°1 : le délai résiduel pour agir, après suspension, est inférieur à six mois

 

Pour le même sinistre survenu et connu le 19 juin 2008, une procédure de conciliation ou médiation se noue le 1er avril 2010 et est déclarée terminée le 18 juin 2010.

A défaut de conciliation ou médiation, la prescription biennale aurait normalement expiré le 19 juin 2010, sous réserve de l’éventuelle prorogation susmentionnée.

Dans notre cas, le temps de suspension est égal à deux mois et dix-sept jours seulement, selon le mode de computation prévu par le second alinéa précité du nouvel article 2238 du Code civil.

Ce total de deux mois et dix-sept jours donne droit en théorie à un délai compensatoire pour agir d’une durée équivalente mais laquelle est convertie automatiquement, eu égard à sa brièveté, en un temps forfaitaire de six mois.

En l’occurrence, les parties au contrat d’assurance et à la procédure de conciliation peuvent saisir le juge du fond de leur différent relatif au sinistre survenu et connu le 19 juin 2008 pendant encore six mois après la date-limite originelle fixée au 19 juin 2010, soit jusqu’au 19 décembre 2010 à tout le moins.

 

  • Hypothèse n°2 : le délai résiduel pour agir, après suspension, est supérieur à six mois

L’on reprend les mêmes données que précédemment, à cette seule différence que la conciliation ou médiation est déclarée terminée le 21 octobre 2010.

 

Eu égard à la lettre de la règle posée par le second alinéa du nouvel article 2238 du Code civil et selon laquelle la prescription recommence à courir « à compter de la date à laquelle » les intéressés « déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée », il faut en déduire, en notre espèce, que le temps suspendu a été égal à sept mois et vingt jours seulement et que le délai pour agir ayant repris son cours expirera normalement, toujours sous la réserve de rigueur liée à une possible prorogation de quelques jours, le 08 février 2011 : on ajoute à la date-limite initiale du 19 juin 2010 successivement sept mois puis vingt jours.

Ce mode de computation est conforme aux dispositions du troisième alinéa de l’article 641 du NCPC et selon lesquelles « Lorsqu’un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont d’abord décomptés, puis les jours. ».

 

Finalement, dès lors que la période de suspension de la prescription peut être décomptée sans difficulté ou sans possible discussion, le calcul du délai résiduel pour agir, grâce notamment aux innovations apportées par la loi du 17 juin 2008, n’est pas le casse-tête que redoutent les juristes.

 

B/ L'INCIDENCE DE LA LOI NOUVELLE DANS LE DOMAINE DE LA CONSTRUCTION

  • L’innovation spécifique : l’instauration, dans un souci d’ultime harmonisation,  d’un délai d’action uniforme  de dix ans au point de départ voulu  unique

 

Il est évident que le législateur a eu la volonté, le 17 juin 2008, de créer un délai unique de dix ans d’action en responsabilité à l’encontre des constructeurs et de leurs sous-traitants, calqué sur celui de la garantie légale décennale et partant également de la réception des travaux, pour tous dommages non compris dans le champ décennal ou biennal obligatoire.

 

  • Déjà, dans le même dessein de simplification et harmonisation des délais, l’ordonnance n°2005-658 du 08 juin 2005 avait créé, après l’article 2270 du Code civil ayant posé le principe de la responsabilité décennale et biennale des constructeurs à compter de la réception des travaux, le nouvel article 2270-2 alignant le régime de la prescription des actions à l’encontre des sous-traitants

intervenants sur le chantier non liés au maître de l’ouvrage par un contrat de louage mais exécutant tout ou partie du travail confié à un locateur d’ouvrage- sur celui des constructeurs.

  • La loi du 17 juin 2008, après avoir recodifié les articles 2270 et 2270-2 respectivement sous la forme des nouveaux articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du Code civil, crée le nouvel article 1792-4-3 ainsi rédigé :

 

« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. ».

¤ Cette nouvelle « disposition-balai » signifie au moins que toutes les actions exercées par le maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs et de leurs sous-traitants et n’ayant pas pour objet des dommages ressortissant au régime des garanties obligatoires décennale et biennale doivent cependant se couler dans le moule désormais commun de dix années décomptées à partir de la réception des travaux.

Les désordres et types de contentieux hors cadre décennal ou biennal visés par ce nouvel article sont notamment la plupart de ceux mentionnés dans la deuxième partie de la troisième colonne de notre tableau synoptique dressé dans la sous-rubrique « DROIT DE LA CONSTRUCTION » de la rubrique « DOMAINES D’INTERVENTION » :

  • les vices et désordres révélés avant la réception des travaux ;
  • les défauts, désordres et vices apparents au moment de la réception des travaux ;
  • les défauts de conformité ostensibles lors de la réception ;
  • les défauts de conformité révélés après la réception des travaux mais sans incidence sur la destination des lieux - dont la sécurité des personnes- ou bien la solidité ou pérennité de l’ouvrage ;
  • les dommages dits intermédiaires dont les dommages futurs ;
  • les dommages esthétiques dont les défauts des peintures et enduits sans fonction d’étanchéité ;
  • les dommages à un existant non objet des travaux neufs (?) ;
  • les manquements du constructeur ou du sous-traitant à son obligation, respectivement contractuelle et délictuelle, d’information, de renseignement et de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage…

 

Le législateur a voulu mettre fin à la coexistence dans le domaine de la construction de délais de prescription  différents : prescription décennale partant de la date de la manifestation du dommage et non point de la réception des travaux ; délai trentenaire pour les purs défauts de conformité par rapport aux stipulations.

 

¤ La portée de l’article 1792-4-3 nouveau est peut- être plus large qu’elle n’y paraît.

Le délai uniforme de dix ans courant de la réception des travaux peut avoir pour vocation de régir tous les contentieux surgissant pour un chantier donné : recours entre constructeurs ou entre les locateurs d’ouvrage et leurs sous-traitants respectifs et, plus généralement encore, actions entre les divers intervenants, que leur fondement soit contractuel ou délictuel.

En pratique, les actions entre entreprises ayant la qualité de commerçants ou entre celles-ci et les intervenants non-commerçants sont déjà soumises à la prescription spéciale de l’ancien article 189 bis devenu L.110-4 du Code de commerce, mais dont le point de départ est en principe le jour où l’obligation du débiteur principal a été mise à exécution.

Dans les relations entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant il y a contrat de louage d’ouvrage ; cependant le sous-traitant ne peut être assimilé à un constructeur, au sens de la loi du 04 janvier 1978, vis-à-vis de son cocontractant puisque son intervention n’est que de second rang par rapport à la position du maître d’ouvrage initial.

Enfin, les appels en garantie en cascade entre intervenants sur le chantier sont rythmés et conditionnés par les actions en responsabilité légale, contractuelle ou délictuelle diligentées par le maître de l’ouvrage initial et qui devront intervenir dans un délai maximal de dix ans à compter de la réception des travaux.

Déjà, Monsieur le Professeur Philippe MALINVAUD évoquait les « ambiguïtés », s’agissant de sa portée notamment, du nouvel article 2270-2 issu de l’ordonnance du 08 juin 2005 –devenu 1792-4-2 du Code civil- et ayant soumis au régime décennal la plupart des « actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant » : RDImm., 2005, page 243, n° 18 et 19.

Pour conclure rapidement et sans prendre parti, ce qui est sûr c’est que l’influence déjà rayonnante du délai décennal légal afférent aux dommages d’une certaine gravité visés par la loi du 04 janvier 1978, encore renforcée en 2005 par l’article 2270-2 précité puis actuellement par le nouvel article 1792-4-3 du Code civil, ne pourra que croître et exercer son empire sur tout le contentieux de la construction, directement et, indirectement, sur les actions en responsabilité exercées par les voisins et tiers à l’encontre des intervenants à l’acte de construire.
 

 

  • En dépit de sa vocation à tout régir par défaut, le nouvel article 1792-4-3 ne pourra s’appliquer à toutes les situations, au moins s’agissant du point de départ de la prescription

 

  • Par exemple, même si le vendeur d’immeubles à construire fait partie des constructeurs au sens de l’article 1792-1 du Code civil et par renvoi de l’article 1646-1 du même Code, une action à son encontre diligentée par un acquéreur sur plans pour défaut de conformité caché sans incidence sur la solidité ou l’habitabilité des lieux devrait être soumise à tout le moins à une  prescription de dix ans pouvant avoir grosso modo pour point de départ la date de la prise de possession, l’ancien article 2262 du Code civil –dont le numéro d’ordre a été réattribué à l’ancien article 2232- ayant disparu et, partant, la prescription trentenaire de droit commun qu’il édictait ayant été implicitement supprimée.

Ainsi, en cas d’insuffisance de superficie du logement vendu en l’état futur d’achèvement ou d’absence de prestations, le nouvel article 1792-4-3 semble inapplicable parce que :

    • la livraison de l’appartement, dans les relations entre l’acquéreur et le vendeur-promoteur, intervient souvent postérieurement à la réception des travaux concernant exclusivement les rapports entre le promoteur-vendeur et les locateurs d’ouvrage ;

 

    •  si la livraison est l’événement le plus tardif, elle doit alors se substituer à la réception des travaux comme facteur déclenchant du délai décennal, en vertu notamment de l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio » (La prescription n’a pas couru contre celui qui a été empêché d’agir) et du nouvel article 2234 du Code civil qui énonce que « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »;
    • le promoteur a pu promettre à l’acquéreur sur plans des prestations différentes de celles commandées aux locateurs d’ouvrage ;

 

    • l’action de l’acquéreur a alors pour objet et pour fondement l’obligation de délivrance conforme, en dehors de tout préjudice, et non la « responsabilité » envisagée par la réforme.

 

  • De même, le nouvel article 1792-4-3 ne peut avoir pour effet de métamorphoser en prescription décennale le délai annal imparti à l’acquéreur d’un immeuble à construire pour agir en réparation des vices ou défauts de conformité apparents au moment de la réception des travaux ou bien  de la prise de possession- articles 1642-1 et 1648, alinéa second du Code civil-, eu égard à la maxime « Specialia generalibus derogant » (Ce qui est spécial déroge à ce qui est général), la loi générale fût-elle postérieure à la loi spéciale.

 

  • De même encore, en cas de camouflage par un entrepreneur de ses malfaçons, l’on imagine mal que le juge puisse décider que le maître de l’ouvrage serait irrecevable à agir en réparation si ledit camouflage est découvert plus de dix après la réception des travaux.

Dans cette hypothèse, le point de départ de la prescription décennale serait à tout le moins reporté au jour de la révélation du maquillage, en application toujours de l’adage « Contra non valentem… » et du nouvel article 2234 du Code civil juste susmentionnés.

 

  • Le nouveau triple mécanisme de suspension, ci-dessus décrit à propos de la prescription biennale des actions dérivant des contrats d’assurance, ne s’applique pas s’agissant des délais pour agir en matière de construction qui sont des temps de forclusion et non pas de prescription – rappel –, à l’exception des actions à l’encontre des sous-traitants ou hors du champ plus généralement des garanties décennale et biennale obligatoires.

 

  • Les délais des garanties annales des vices et défauts de conformité apparents et de parfait achèvement dues respectivement par le vendeur d’immeubles à construire et les locateurs d’ouvrage et ceux des garanties biennale et décennale incombant aux constructeurs en général sont insusceptibles d’être suspendus car constituant des forclusions : articles 1642 – 1 et 1648, 1792 – 4 – 1 et 1792 – 6 du Code civil

 

  • À l’inverse, les nouveaux délais institués hors du régime des garanties biennale et décennale obligatoires et mentionnés par les articles justes ci-dessus explicités 1792 – 4 – 2 et 1792 – 4 – 3 du Code civil sont des prescriptions et, partant, peuvent faire l’objet de suspension notamment par le prononcé judiciaire d’une mesure d’instruction

¤ Arguments logiques et juridiques

Les délais résultant des nouveaux articles précités 1792 – 4 – 2 et 1792 – 4 – 3 du Code civil ont été seulement modifiés, dans un souci d’harmonisation, en ce qui concerne leur point de départ qui est désormais la date de réception des travaux mais ils n’ont pas changé de nature et ils se substituent à des laps de temps qui constituaient déjà des prescriptions et non des forclusions : par exemple, l’action en responsabilité extracontractuelle du maître de l’ouvrage à l’encontre du sous-traitant.

 

¤ Arguments de textes

Alors que les articles 1642 – 1 et 1792 – 4 – 1 du Code civil prévoient que la personne intéressée est « déchargée » de ses responsabilité et garantie dans le délai requis d’un ou de deux ou dix ans et alors que le 2ème alinéa de l’article 1792 – 6 du même Code évoque la garantie de parfait achèvement « à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an » et alors que le second alinéa de l’article 1648 dudit Code se réfère explicitement à l’action à introduire « à peine de forclusion dans l’année… », les nouveaux articles 1792 – 4 – 2 et 1792 – 4 – 3 précisent que les actions hors du domaine des garanties et responsabilités légales y étant visées « se prescrivent par dix ans… et/ou « par deux ans à compter de la réception des travaux »

 

  • Dans le strict cadre des délais d’action en matière de construction constituant de véritables prescriptions, la possibilité de leur « aménagement conventionnel » ou d’ajouts de causes de suspension ou d’interruption par les parties, prévue par l’article 2254 du Code civil, paraît restreinte voire théorique

 

Dans les relations entre maîtres et locateurs d’ouvrage ou entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants, la prescription d’action pourra être suspendue -ou son point de départ différé dans le premier des trois cas- pour cause de mesures d’instruction ordonnées avant tout procès ou bien de procédure de médiation ou conciliation.

Dans les relations entre maîtres d’ouvrage et sous-traitants, a priori est envisageable seulement la mesure d’instruction comme cause de suspension ou report du délai pour agir, à l’exclusion de la procédure de médiation ou conciliation, ces protagonistes n’étant pas parties aux mêmes contrats, sauf à interpréter extensivement le vocable « parties » et à imaginer, par exemple, que des personnes non-cocontractantes se lient par la suite par un accord écrit visant à trouver une solution amiable à leur différend.

Le même raisonnement vaut pour toutes les relations extracontractuelles entre intervenants sur le chantier.

Cependant et à la différence des cocontractants à une police d’assurance, les parties à un contrat de construction peuvent, à titre résiduel et « d’un commun accord » et seulement pour les délais d’action qui constituent des prescriptions :

  • allonger le délai le délai biennal ou inférieur à dix ans, dans la limite de dix ans ou
  • réduire tout délai à la durée – plancher de un an ;
  •  et « ajouter aux causes de suspension et d’interruption de la prescription prévues par la loi ».

 

En supposant que ces quelques possibilités d’aménagement conventionnel puissent être utiles, l’éventuelle volonté des constructeurs d’accorder des suspensions et interruptions de prescription supplémentaires risque d’être contrecarrée par les assureurs des polices décennales obligatoires ou non.

 

  • La limitation de principe à vingt ans de l’extensibilité du délai pour agir initial

Quoiqu’il en sera des aménagements de la prescription stricto sensu par les parties, les reports du point de départ, les suspensions et les interruptions de ladite prescription, conventionnels ou légaux, ne doivent plus, en principe, aboutir à étendre la durée du délai initial pour agir au delà de vingt ans.

  • L’affirmation par le législateur du principe du plafonnement du délai pour agir à vingt ans

 

Le premier alinéa du nouvel article 2232 du Code civil pose la règle suivante :

« Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt à compter du jour de la naissance du droit. ».

  • La portée pratique très réduite de cette limitation de principe, du fait de la non-prise en compte des interruptions résultant des demandes en justice

 

Outre des exceptions concernant notamment les actions relatives à la responsabilité pour cause de dommages corporels, à la propriété, aux créances conditionnelles et les actions entre époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou bien celles relatives à l’état des personnes, le second alinéa de l’article 2232 précité réserve également le cas prévu par le premier alinéa de l’article 2241 du même Code et selon lequel « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. ».

En pratique et s’agissant de la prescription décennale stricto sensu, spéciale et harmonisée courant à compter de la réception des travaux mais hors du domaine des garanties légales soumises au régime de la forclusion, l’action en responsabilité du maître de l’ouvrage à l’encontre des locateurs et de leurs sous-traitants, prolongée pour toute autre cause que l’interruption par citation en justice suivie d’effet cas légaux d’interruption de la prescription autres, cas conventionnels d’interruption ou de suspension, procédures de médiation ou conciliation-, ne peut être intentée plus de vingt ans après la réception des travaux.

 

Mais par le jeu de demandes en justice diverses et répétées, la même action en responsabilité dudit maître de l’ouvrage pourrait parfaitement être exercée cent ans voire plus après la réception des travaux.

 

Enfin, la règle de ce plafonnement à portée limitée est susceptible de s’appliquer à la prescription biennale des action dérivant d’un contrat d’assurance mais son utilité y apparaît encore plus théorique : il est extrêmement improbable que le délai pour agir de deux ans, courant « à compter de l’événement qui y donne naissance », puisse être même seulement décuplé par l’effet de procédures de médiation et de conciliation successives et/ou d’autres causes spécifiques ou générales de report du point de départ de la prescription ou bien de sa suspension ou interruption telles que l’ignorance de l’existence de la police ou du sinistre, la désignation amiable d’un expert ou la notification d’un lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.

Il faudra simplement se remémorer, lors de l’examen d’affaires se déroulant sur plus d’une décennie, qu’une limite à l’extensibilité de la durée du délai pour agir existe sous certaines conditions.

   Le droit transitoire

  • Le droit transitoire s’agissant de la répercussion de l’abrègement des délais

 

L’examen des mesures transitoires est indispensable puisque la loi du 17 juin 2008 a fait disparaître toutes les prescriptions trentenaires dont pouvait bénéficier le maître de l’ouvrage, au profit d’un délai décennal unique et de rigueur dont seul le point de départ peut être encore discuté en certaines circonstances.

Il faut rappeler que les dispositions portant réforme de la prescription en matière civile, publiées au Journal officiel de la République française le 18 juin 2008, s’appliquent dès le lendemain, soit le 19 juin 2008, à défaut d’indication contraire.

En second lieu, nous reviendrons brièvement sur la question de l’application immédiate des nouvelles règles

 

  • Le cas des instances en cours au 19 juin 2008

L’article 26, III de la loi n°561 du 17 juin 2008 précise que « Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. ».  

Cette disposition est claire et profère même des évidences : la loi nouvelle ne change pas les règles du jeu de la prescription pour les affaires déjà soumises au juge.

 

  • Le cas des instances à naître, au regard de la réduction des délais pour agir

 

La loi nouvelle règle cette question par deux dispositions distinctes dont l’esprit est  identique et rejoint la position de la Cour de cassation :

  • le second alinéa du nouvel article 2222 du Code civil énonce qu’ « En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. » ;

 

  • l’article final 26, II de ladite loi conclut que « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ».

 

En pratique, s’agissant d’un droit antérieur à agir en responsabilité trentenaire, le maître de l’ouvrage pourra encore l’exercer pendant dix ans et jusqu’au 19 juin 2018 inclus –nouvelle prescription décennale de substitution-, sous réserve que ledit droit soit né après le 18 juin 1988 : période du 19 juin 1988 au 19 juin 2018 correspondant à la durée totale de trente ans prévue par la loi antérieure.

Si le droit antérieur à agir en responsabilité trentenaire est né entre le 18 juin 1978 et le 19 juin 2008, il peut encore être exercé pendant une durée résiduelle variant entre un jour naissance dudit droit le 19 juin 1978 et expiration normale le jeudi 19 juin 2008- et dix ans moins un journaissance dudit droit le 18 juin 2008 et expiration en principe le 18 juin 2018.

Et tout droit antérieur à action trentenaire né avant le 19 juin 1978 ne pourra plus être exercé dans le cadre de la loi nouvelle, la durée totale de trente ans prévue par la loi antérieure étant consommée.

 

Enfin et hors le cas de la garantie biennale de bon fonctionnement et de la garantie triennale en cas de dommage à l’ouvrage d’un montant supérieur à 500 € causé par un produit défectueux, toute action en responsabilité née au bénéfice du maître de l’ouvrage ou de tout autre intéressé à compter du 19 juin 2008 sera soumise  sans distinction au régime de la nouvelle prescription décennale de droit commun.

 

  • L’application immédiate, aux différends ou aux sinistres construction antérieurs au 19 juin 2008, des nouvelles causes légales de suspension ou des possibilités conventionnelles d’aménagement de la prescription

 

  • L’application immédiate de la triple innovation en matière de suspension de la prescription

 

Ainsi qu’il l’a été observé à propos des actions dérivant des contrats d’assurance, les actions décennales « anciennes » ou « nouvelles », même nées avant le 19 juin 2008, verront leur prescription suspendue, ou le redémarrage « de zéro » de celle-ci reporté, en cas de procédure amiable de médiation ou conciliation entamée ou bien de mesure d’instruction avant tout procès ordonnée à compter dudit 19 juin 2008.

Ainsi, toute décision juridictionnelle avant dire droit rendue depuis le 19 juin 2008 et ayant ordonné une expertise a eu pour résultats et d’interrompre et de suspendre la prescription décennale en cours, un nouveau délai d’une durée égale se déclenchant à compter du dépôt du rapport final du technicien commis.

 

  • L’application immédiate de la possibilité limitée d’aménagement de la prescription décennale en cours

 

En matière de construction immobilière, les parties intéressées disposent désormais de la faculté résiduelle d’allonger le délai de prescription biennale, dans la limite de dix ans, ou de convenir de causes extra-légales de suspension ou d’interruption de la prescription décennale : rappel.

Dès lors que le délai décennal n’est pas expiré au 19 juin 2008, le maître de l’ouvrage et les locateurs, à titre d’exemple, peuvent parfaitement à compter de cette date, à propos d’un sinistre ou d’un désaccord antérieur, imaginer et fixer des cas originaux de suspension ou d’interruption de la prescription en cours voire décider de la suspendre ou de l’interrompre pour un motif exceptionnel.  

 

Ce commentaire rapide et partiel qu’il faut lire en conservant constamment à l’esprit la distinction entre délai de prescription et délai de forclusion, et « à chaud » hors le préambule valant actualisation, de cette importante loi du 17 juin 2008, sans l’éclairage des travaux préparatoires et des débats parlementaires, a été inspiré à Maître Alix BELLACHE, très versé dans l’étude de l’influence du temps sur le droit, par le souci de proposer une traduction pratique de ses dispositions dans les deux principaux domaines qu’il traite habituellement : les assurances et la construction immobilière.

Pour sa défense, il s’en rapporte à ce dicton nord-américain : « Mieux vaut allumer une petite chandelle que de se plaindre de l’obscurité. ».

 

 

 




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